L’utile dans l’art

Associer l’art à l’utile a de quoi réveiller bien des débats, tant l’utile semble associé à l’artisanat. Pourtant… Si « mettre de l’utile dans l’art » semble incongru ainsi posé, en retournant le propos tout semble plus acceptable « mettre de l’art dans l’utile ». Comme quoi, la subtilité n’est peut-être qu’affaire de langage, et de volonté à mettre des séparations entre chaque tiroir !

L’artisan n’est-il pas artiste quand il crée, même en utilisant des savoir-faire traditionnels ? Et l’artiste n’utilise-t-il pas des gestes et méthodes d’artisans dans certaines de ces œuvres ?

 

Et si l’émerveillement se substituait à la banalité

Le fait est que bien des artistes et artisans s’indiffèrent aujourd’hui des conventions et nous proposent de mettre de la beauté, de la poésie, de l’originalité et de l’inédit dans notre quotidien, jusqu’au cœur de nos habitudes et petits gestes. Cette approche est extrêmement intéressante puisqu’elle se propose de changer notre regard sur la vie « ordinaire » en nous proposant de substituer l’émerveillement à la banalité, les sentiments à l’indifférence.

Se lasse-t-on du beau ? La question n’est pas anodine ! On se lasse de la banalité, on s’en épuise, même. Et on s’habitue au beau ! Dans un sens très positif puisque cette habitude-là n’entraîne pas de lassitude, et la nuance est d’importance. Par exemple, un très joli paysage nous subjugue la première fois par l’effet de surprise qu’il nous procure. Les fois suivantes, l’émerveillement se poursuit et se transforme peu à peu en sensation de bien-être. L’enthousiasme du premier instant disparaît, mais pas le plaisir de le revoir, même si notre attention semble s’en être écartée. Ce paysage devient ce souvenir qui contribue à trouver beau le monde ou la vie.

Chaque fois que l’on y pense ou qu’il s’offre à nouveau à nous est un moment agréable. Et même en le connaissant, il peut susciter des instants d’émerveillement, au point même que l’on peut rêver d’en faire le paysage de notre quotidien, vivre face à lui, en lui. C’est de ce raisonnement que naît l’idée d’associer l’utile et l’art, l’artisanat et l’unique, etc. Faire entrer en nous « l’habitude du beau » ! Plutôt que de cantonner l’art à une ou quelques œuvres, plutôt que de se déplacer pour admirer l’art et fuir la banalité, pourquoi ne pas s’entourer de pièces uniques dans notre vie, en choisissant des créations pour divers objets du quotidien ?

 

Une quête instinctive que chacun mène à sa façon

En réalité, nous sommes tous, plus ou moins consciemment, en quête de cette beauté sentimentale dans nos vies, et cela commence très jeune. Qui n’a pas ce ou ces objets qui lui sont chers au point de ne jamais vouloir s’en séparer ? Ce joli stylo qui nous a été offert, avec lequel on aime écrire ou qui a sa place sur le bureau, même s’il ne fonctionne plus ! Ce pull chic dont on voudrait qu’il ne s’use jamais ! Ce magnifique camellia pour lequel on a craqué et dont on prend soin plus qu’avec toute autre plante !

C’est que le beau amène aussi le respect. On ne met pas la table de la même façon avec des assiettes ordinaires et avec de belles créations de porcelaine ou céramique. On regarde une jolie lampe en l’éclairant quand on ne fait qu’appuyer sur un bouton pour allumer la plus ordinaire ! Les exemples peuvent être multipliés à l’infini. Respect, sentiments, plaisir, attachement… voilà bien ce qui rend la vie plus belle, non ?

Oui, mais le beau coûte cher ! Sans doute, peut-être, parfois, pas toujours… mais c’est presque hors sujet. Car ce qui coûte vraiment cher, c’est de vivre dans l’ennui et la lassitude. Notre quête incessante du « pas cher » est à l’origine des produits fabriqués en masse ; les industriels ont bien compris que nous avons besoin de beau, raison pour laquelle il réinvente sans cesse les objets les plus ordinaires pour amener toujours la nouveauté. En apparence, au premier coup d’œil, ce qu’ils proposent peut sembler beau… le plus souvent parce que c’est uniquement nouveau ! Telle vaisselle, telle patère, telle lampe, tel tissu, tel petit meuble. Jusqu’au jour où nous comprenons que ledit objet est omniprésent, un peu de partout « chez les autres ». Banal jusqu’à s’en lasser parce qu’il n’a en réalité aucune âme !

 

Le coup de cœur durable est meilleur pour le moral et pour la planète !

Dans l’objet d’artisan ou d’artiste, c’est tout l’inverse ! Il y a une histoire, des gestes, une attention, des matières particulières, un peu de patrimoine et de la passion. Le coup de cœur que l’on peut avoir à acheter une nappe unique, magnifiquement brodée à la main est un coup de cœur durable ! Comme ce stylo que l’on va garder toute sa vie, ce très bel objet participe à notre bien-être, tout en étant… usuel. La poésie d’une jolie vaisselle faite main ou d’un meuble unique suit la même destinée, tout autant que tel tissu de lin ou de coton aux nuances subtiles et indéfinissables engendrées par des teintures artisanales.

Ce n’est pas le cas des objets industriels qui sont régulièrement remplacés parce qu’ils sont moins robustes ou parce que nous ne les supportons plus ! Les déchetteries en regorgent. Même si ces objets ont le mérite d’être financièrement accessibles, ce qui est bien utile pour les jeunes ménages, par exemple. Sous réserve que « petits prix » (si c’est le cas !) ne s’associe pas à plus grande consommation !

Finalement, choisir de beaux objets dans notre quotidien c’est renouer avec l’histoire, celle d’avant la « société de consommation » et le « gaspillage » qu’elle engendre, auxquels pourtant nous participons sans cesse. Avoir moins, mais plus robuste, plus beau, plus satisfaisant ; choisir de beaux produits capables de nous accompagner longtemps, de nous survivre même, d’être transmissibles pourquoi pas ! Souvent, ces produits-là se bonifient avec le temps, qui inscrit sur eux une seconde histoire : celle du vécu qui succède à celle de leur création. Ils peuvent s’acquérir peu à peu, enrichir ceux que l’on a déjà, remplacer ce qui n’a plus lieu d’être… et devenir intemporels et attachants.

 

Et si un jour renaissaient antiquaires et brocantes

Jusque dans les années 80, au siècle dernier, il était très fréquent de voir un peu de partout au long des routes de France, des brocantes, et dans les villages et villes des antiquaires. L’immense majorité de ces magasins a disparu. Changement de goûts, changement de mode, certes ! Changement aussi de manières de vendre ou troquer, internet oblige. Mais le fait est aussi que, depuis presque un demi-siècle, la banalité des objets utilitaires et leur piètre qualité ne présentent plus d’intérêt suffisant pour attirer les chineurs. Avec la tendance renaissante des beaux objets et l’alliance art/utile, artisanat/pièces uniques, nul doute que demain nous pourrons à nouveau repartir en quête de jolies pièces anciennes issues de ce nouveau patrimoine !

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